Est-ce que j'avais demandé de venir au monde? Non. Pourtant, mes géniteurs désiraient un enfant et c'est moi qu'ils avaient eu.

Le soleil venait à peine de se lever et déjà les rayons matinaux envahissaient ma chambre sans me laisser un instant de répit. J'avais emmenagé dans cet appartement une pièce il n'y avait pas très longtemps. Ma travailleuse sociale m'avait déniché cet endroit. De toute façon, ce lieu ne revêtait aucune importance et il était vide. Vide de souvenirs. Bien sûr, le foyer m'avait aidé, pour avoir un bon départ dans la vie. Et puis quoi encore? Comment était-il possible d'avoir un bon départ dans la vie? N'avaient-ils pas songé que la vie ne m'avait jamais été favorable? Non. Bien sûr, ils s'étaient montrés concernés lorsque j'avais atteint mes 18 ans. Je sortais du système désormais et ils voulaient s'assurer que je puisse me faire une nouvelle vie. Voilà ce que Nina, ma travailleuse sociale, m'avait dit. Elle m'avait souhaité bonne chance en disant qu'elle reviendrait me voir dans 15 jours. Je n'y comptais pas trop, puisque les gens qui auraient dû compter le plus pour moi m'avaient lâchement abandonnée. Avaient-ils eu raison de le faire? Sans doute. En fait, mes géniteurs avaient cru bien faire.Cette journée, jamais je ne l'oublierai.

Déjà petite, j'avais été la cible préférée des autres. Je ne m'habillais pas comme les autres enfants, les moqueries fusaient de toute part à mon endroit et la seule façon que j'avais trouvé pour me défendre c'était de faire usage de mes poings. Au début, j'avais surtout encaissé, mais au fil des bagarres, j'avais appris à me défendre et à rendre les coups. Dès cet instant, les autres avaient compris qu'ils avaient intérêt à me laisser tranquille. Allant de suspension en suspension avait d'avoir atteint l'âge de 10 ans, mes géniteurs ne surent plus quoi faire de moi. Je n'écoutais rien et selon eux, je me rebellais envers leur autorité. Quelle autorité? Ils ne faisaient pas grand chose de leur journée. Ils n'étaient que des profiteurs qui se servaient de l'argent envoyé par l'État pour vivre. Ils passaient leur temps à se saouler et lorsqu'ils ne saoulaient, ils se chicanaient ou me hurlaient dessus. Je n'étais pas la fille qu'ils avaient rêver avoir. Si seulement ils avaient pu comprendre que tout ce que je voulais, c'était de ne pas leur ressembler. Ils me dégoûtaient. Vers l'âge de 9 ans, je fis une première fugue. Vaine tentative pour essayer de m'extirper de cette famille complètement dysfonctionnelle. Lorsque la police me retrouva au bout d'une seule journée de recherche et me ramena chez moi, je vis la plus belle performance jouée par ma mère, une performance digne des plus grandes actrices! Si bien que je serais tombée dans le panneau si je ne l'avais pas aussi bien connue! Elle jouait la mère éplorée, tellement heureuse de retrouver la chair de sa chair, ne comprenant pas pourquoi j'avais fugué, me couvrant de baisers et de caresses. Beurk. Son haleine empestait l'alcool. Selon la police, j'avais un comportement d'enfant normal, puisque lors d'une dispute avec leurs parents, les enfants, qui désirent ainsi montrer leur désaccord quant à l'autorité parentale, fuguent. Et puis quoi encore? Que savaient-ils de moi pour oser dire des paroles comme celles-là? Ils ne savaient rien. J'aurais pu faire cesser le calvaire de ma vie à cet instant, parler avec les policiers et leur expliquer ce que je vivais. Cependant, je savais que les adultes ne comprenaient rien et même si on leur disait la vérité, ils ne nous croyaient jamais, parce qu'on était de simples enfants. Après tout, les enfants déforment toujours un peu la vérité, selon le directeur de mon école.

Les problèmes commencent, la vie s'enchaîne. J'en ai rien à faire.

Le problème était celui-ci : je n'avais pas envie de rester chez moi. Je me trouvais toujours mille excuses pour rester dehors, jouer avec des amis que je n'avais pas, j'inventais des histoires, ma préférée : j'ai un travail d'équipe à faire. Or, je n'avais jamais de travail d'équipe à faire. Pourtant, mes géniteurs croyaient aux excuses que je leur fournissais. J'arrivais tard le soir, ils étaient déjà saouls, la plupart du temps. S'ils s'enguelaient, j'attendais avant d'entrer que la tempête soit passée. C'est à cette époque que j'ai rencontré Carter. Il était un peu plus vieux que moi, je n'avais que 11 ans à l'époque. Un lien d'amitié s'est tissée entre nous, puisque j'étais trop naïve et lui, trop profiteur. Enfin quelqu'un qui me comprenait! Il se décrivait comme un rescapé, puisqu'il avait réussi à s'échapper du contrôle parental exercé par ses vieux, comme il les appelait. Les vrais problèmes ont commencé à partir de ce jour. Carter m'emmenait partout. Au début, j'ai vu en lui un échappatoire, une façon d'oublier ma condition. La réalité ne tarderait cependant pas à me rattrapper. Avec Carter, j'appris comment commettre de petits vols. Étant donné mon visage d'ange, personne ne pourrait me soupçonner. Et il avait raison. Je commettais de petits vols ici et là et jamais je ne fus interpelée. J'étais l'enfant parfaite pour voler : j'étais insoupçonnable. Si bien que je décidai de pousser ma chance en commettant des vols un peu plus important. C'est une chose de voler des bonbons au dépanneur du coin, c'en est une autre de voler dans de grands magasins. Au début, tout se passait très bien. Je pouvais voler ce que je voulais, tout m'était permis. Mes cheveux châtiains encadraient un joli petit minois et mes grands yeux noisette ne trahissaient aucune délinquance. Si les gens avaient pu voir au-delà des apparences, ils auraient compris. Carter misait tout sur mon apparence. J'étais mince, plutôt jolie, je n'avais rien de la petite arnaqueuse.

Mais rien n'est éternel. Un jour, je fus prise la main dans le sac. Un policier m'avait suivi, incognito bien sûr. Il avait repéré mon petit manège, avait suivi mes moindres faits et gestes et m'épingla lorsque je sortais du magasin. C'est alors qu'une série d'événements s'enchaînèrent à une vitesse incroyable. Carter décampa rapidement et ne me vint nullement en aide. Une rage indescriptible s'empara de moi. Comment osait-il me laisser tomber alors que j'avais besoin de lui? Mes géniteurs furent appelés en renfort, ils vinrent me chercher et ce fut à ce moment de ma vie que ma mère décida de faire appel à une travailleuse sociale. Elle avait livré tout une performance dans le bureau de mon directeur. Elle disait qu'elle ne me comprennait plus, qu'elle avait perdu le contrôle, qu'elle ne savait plus quoi faire de moi, qu'elle avait tout essayé : en fait, elle n'avait rien essayé. Et pour me comprendre, il aurait fallu qu'elle s'intéresse un peu à moi, ce qu'elle n'avait jamais réussi à faire.

Les adultes prirent la décision de mettre dans un foyer. Ce furent les années les plus pénibles de ma vie. D'abord, je fus ballotée d'un endroit à un autre. Ensuite, j'appris rapidement que toutes les familles n'étaient pas aussi dysfonctionnelles que la mienne : il y en avait qui était pire. Je ne tiens pas vraiment à me remémorer tout ce que j'y ai vécu, laissons le passé dormir bien profondément et évitons de ramener à la surface des blessures qui ont pris du temps à cicatriser. De toute façon, les histoires tristes, personne ne veut s'en rappeler.

Searching myself, I lost myself.

Tout ça pour dire que la merveilleuse journée ensoillée qui venait de débuter commençait à se voiler lentement. Le soleil était toujours présent, mais mon humeur, à présent maussade, ne laissait rien présager de bon. Je m'étirai lentementet je m'extirpai du lit. Il fallait bien que je prenne une douche avant de filer au boulot. Mes cheveux châtains, légèrement ondulés, étaient une véritable pagaille. Je devrais les coiffer vite fait avant de partir. Je me rendis d'un pas lent en direction de la salle de bain. Il faut dire que je n'avais pas beaucoup de pas à faire pour m'y rendre. Je bâillais à m'en décrocher la machoire. La journée promettait vraiment d'être longue. La douche fut rafraichissante et apaisante. Lorsque mon regard croisa le miroir fixé au-dessus du petit lavabo, mes yeux noisette me renvoyèrent un reflet plaisant. Un sourire n'éclairait pas mon visage, ma peau semblait plus claire sous cet éclairage blafard. Je revêtis rapidement un jeans et un t-shirt blanc. Je ne voulais quand même pas arriver en retard au boulot. Bien que cet emploi me convenait pour l'instant, je savais que je ne voulais pas faire ça toute ma vie. D'accord, je n'avais pas d'études, mais cela ne m'empêcherait pas d'améliorer ma situation. Comment vais-je m'y prendre? Aucune idée. Tout ce que je sais, c'est que je ne finirai pas comme mes géniteurs.

Une longue silhouette fine descendit rapidement l'escalier avant de se ruer à l'extérieur. Il ne lui restait plus que 10 minutes pour se rendre au travail. Au pas de course, elle arrivait sans doute essouflée, mais Mike ne se montrait pas très patient ces derniers temps. Son patron avait des problèmes qui ne la concernait guère, tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle ne devait pas le mettre en colère. Après tout, il aurait pu embaucher n'importe qui pour ce job, mais c'était elle qui l'avait eu.