Joan, sweetheart …
Pour la dernière fois, va te faire foutre !

La jeune femme raccrocha violemment son téléphone. Enfin, elle ne se trouvait malheureusement pas dans un de ces vieux films d'époque où on pouvait reposer le combiné sur son socle avec fracas. Non, là elle se contenta de presser l'écran tactile de son bébé dernier cri. Elle regretta quelques secondes de ne pas pouvoir le faire à la Nathalie Wood ou Marylin Monroe, et puis se dit que de toute façon, elles avaient tellement mal fini qu'il ne valait mieux pas vraiment leur ressembler. Elle soupira à faire trembler les vitres de l'aéroport de Heathrow dans lequel elle se trouvait. Le coup de fil qu'elle venait de recevoir était le énième du genre de Seth. Cela faisait une semaine qu'il la harcelait de messages, de bouquets de fleurs envoyés elle ne savait pas trop comment à sa chambre d'hôtel dont il n'avait pourtant connaissance de l'emplacement, enfin, tout du moins s'était-elle débrouillée pour cela. Elle avait d'abord voulu jeter toutes les fleurs de façon consciencieuse par la fenêtre, se disant qu'il devait sans doute l'épier de quelque part, ou avoir demandé au personnel de voir quel sort elle leur réservait, ce serait tout à fait son style. Et puis finalement elle s'était ravisée, et avait décidé d'en faire cadeau aux femmes de chambre qui étaient si gentilles et serviables, et qu'elle appréciait énormément. Et toutes les chambrières s'étaient donc retrouvées avec une à deux douzaines de roses rouges. Elle espérait cependant ne pas leur faire avoir d'ennui avec leurs maris/ copains et avait d'ailleurs proposé de tout expliquer en cas de problème. Oui, elle était comme ça, la Joan. Elle ne voulait pas que les gens aient d'embêtement par sa faute. Aimable, souriante, même avec du personnel de l'hôtel, sisi, après tout, pourquoi ne le serait-elle pas ? Ils n'étaient que des êtres humains normaux, pas différents d'elle, alors après tout ? De toute façon, Joan était incapable de faire du mal à une mouche, incapable d'être méchante, de blesser quelqu'un intentionnellement. Comment ça vous toussez ? Le coup de téléphone ? Ah, ça … ça, c'est une autre histoire. Une histoire qu'on ne raconte malheureusement pas assez souvent aux petites filles. On devrait pourtant, au lieu de leur lire des contes de fée ! Ça les préparerait peut-être à ce qui les attend dans la vraie vie. Et encore … Joan songea que ce n'était pas la première fois, et qu'elle se faisait encore avoir. Mais comme elle venait de le signifier à l'autre abruti, c'était une erreur de trop. Et cette fois, elle ne fermerait pas si facilement les yeux. Oh que non. Et cela, parce que …

Thnks fr th mmrs - FlashBack

Tout sourire, la jeune femme poussa la porte de l'immeuble londonien qu'elle habitait maintenant. Tout cela lui semblait assez irréel. Il n'y avait encore pas si longtemps que ça, tout du moins à ce qu'il lui semblait, elle était à New Heaven, dans la prestigieuse université de Yale, à suivre avec passion ses cours de marketing, à vivre avec son grand frère et son meilleur ami. Et maintenant, elle était là, à Londres, avec l'homme qui lui avait fait tourner la tête en moins de temps qu'il ne lui fallait pour le dire, en train de poursuivre ses études. Loin de chez elle. Oui, elle avait craqué, et elle était partie sur un coup de tête. Cela ne lui ressemblait absolument pas, avait dit tout le monde. Et pourtant … ç'avait été sans doute la décision la plus facile à prendre de toute sa vie. Elle était tombée amoureuse, comme jamais, comme une folle. Oh, bien sûr, elle n'était pas sans connaître les sales habitudes de celui pour qui elle était tombée, mais elle avait bon espoir qu'il arrête ses mauvaises habitudes. Pour elle. Naïve ? On le lui avait dit. La preuve, elle avait bien découvert seulement un an après qu'en fait il étudiait à Londres. Oui, et alors ? Elle s'en moquait. Elle avait envie de casser la cage dans laquelle elle se sentait enfermée, prise au piège. Oh, bien sûr elle adorait son frère, mais elle se sentait véritablement étouffée. Elle voulait vivre, pour elle et comme elle l'avait décidé. Et personne, non, personne ne pourrait l'en empêcher. Alors elle avait fait les démarches, pour transférer son dossier à Londres, et elle était partie, en disant au revoir de façon rapide. Elle savait que son frère désapprouvait, mais pour une fois, elle lui avait bien fait comprendre qu'elle se passerait de son avis. Après tout, elle avait plus de vingt ans, il était bien loin le temps où elle avait besoin de lui pour prendre sa défense. Quoique … Elle se savait fragile. Elle faisait trop confiance aux gens, elle aimait croire le meilleur des personnes. Adrian le lui avait toujours reproché. Ça lui avait valu bien des ennuis … Et pire que ça …

Elle frissonna en montant les escaliers. Elle ne voulait plus penser à ça, il fallait qu'elle se l'enlève de la tête. C'était du passé. Ç'avait été grave, très grave, mais il n'était pas question qu'elle y repense. Et pourtant, sa main se crispa sur la rampe alors qu'elle gravissait lentement les trois étages qui la séparaient de son appartement. Avant qu'elle ne rencontre Seth … Non. Rien que le penser était douloureux. Mais elle savait très bien que cette blessure ne s'effacerait pas aussi facilement que les marques prouvant qu'elle avait été violentée, examinées par la police. Mais tout le reste, l'attente, à l'hôpital, les tests, de dépistage … et surtout le malêtre … Et les images, qui la réveillaient encore parfois, en sueur, aux côtés de son homme. Elle se reblotissait bien vite dans les bras qu'il lui ouvrait pour la réconforter, mais il savait très bien, tout comme elle, que jamais il ne pourrait effacer tout ça … Tout ces souvenirs … Son viol … Aïe. Elle avait raté une marche. Elle se força à respirer. Oui, entre ça, et l'autre con qui l'avait frappée quand elle lui avait annoncée qu'elle le quittait … Celui là avait fini à l'hôpital, sous les coups de son frère. Heureusement que ses parents étaient intervenus (enfin, par l'intermédiaire de leur avocat) sinon il aurait eu de graves ennuis, vu l'état dans lequel était le malotru. Mais tout ça, c'était fini, se raisonna-t-elle. Elle n'avait plus besoin d'avoir peur, elle n'avait plus besoin de son frère, parce que maintenant, elle avait Seth. Ils étaient heureux, tous les deux, et rien, non rien ne pourrait entacher ce bonheur.

Le troisième étage, enfin ! Arrivée à la porte, elle se figea un instant, les yeux fermés, la clef à quelques millimètres de la serrure: elle voulait se jouer la scène qui allait se dérouler dans quelques secondes, et la savourer à l'avance: elle allait entrer, doucement, et se faufiler jusqu'au lit où Seth devait sans doute s'être posé en l'attendant. Il ne s'attendrait pas à la voir si tôt, son dernier cours de langues avait été annulé, et elle lui sauterait dessus en hurlant pour l'effrayer. Il sursauterait, la serrerait contre lui en lui disant que non, il n'avait pas eu peur, ils se battraient gentiment pendant quelques minutes avant que ça devienne à la fois plus torride et plus tendre … Elle se mordit la lèvre en rouvrant les yeux, et en glissant la clef dans la serrure. Oui, c'était parfait, sa vie était parfaite... Vous étiez jaloux ? Désolée pour vous, mais elle n'échangerait pour rien au monde.

Tout doucement, pour ne pas faire de bruit, elle tourna la clef et appuya lentement sur le battant. Ils avaient choisi un appartement de charme, un peu ancien, mais du coup, les portes grinçaient horriblement. Très fière d'elle, de ne pas avoir fait de bruit, elle enleva doucement sa veste qu'elle suspendit au portemanteau et enleva ses talons histoire que leur bruit sur le parquet ne l'alerte pas. L'appartement était plongé dans la pénombre, sans doute dormait-il. Tant mieux, l'effet de surprise ne serait que plus réussi. Sans allumer, elle s'engagea dans le couloir, se guidant de la main contre le mur. Elle avançait à petits pas, tous doux, sur la pointe des pieds. Elle était presque à la porte quand deux événements simultanés la firent s'arrêter: un, elle venait de marcher sur quelque chose d'étrange, du tissu, bien loin du bois du plancher, et deux … il y avait des bruits dans la chambre. Elle avala difficilement sa salive. Son cerveau ne répondait plus. Il refusait de fonctionner, comme s'il voulait la préserver de la réalité apparente: ses oreilles s'étaient bloquées, captant chacun des sons en provenance de la chambre, de LEUR chambre, et ses gestes furent mécaniques quand elle se pencha, attrapant le vêtement, l'amenant à hauteur de regard, et identifiant finalement, sans aucun doute possible, un string en dentelle. Seth n'avait pas ce genre de bizarrerie. Donc …

Donc elle s'avança, comme une condamnée à mort vers la chambre. Et, mécaniquement, elle alluma la lumière. Juste pour avoir sous ses yeux la preuve de ce qu'elle venait de déduire par elle même. Et elle fit demi tour, commençant à courir quand elle l'entendit l'appeler et qu'elle sentait les larmes commencer à couler sur ses joues. Et chemin inverse: chaussures, veste, sac à main. Et tchao.

And never come back again … - Fin du FlashBack

Elle était repassée prendre ses affaires à un moment où elle le savait absent de l'appartement. Il n'avait pas fait changer les serrures, fort heureusement d'ailleurs. Et elle avait passé un certain temps dans cette chambre d'hôtel. Elle évitait de passer par les chemins qu'elle prenait d'habitude, elle ne voulait surtout pas le croiser. A l'université, elle se faisait discrète, se demandant par où il ne la chercherait pas. Elle ne voulait pas avoir à faire à lui. Elle avait trop mal. Encore une fois. C'était son frère qui avait raison. Finalement. Encore. Enfin, son frère … Parce qu'elle avait également appris qu'elle était tante ! Hey oui, qui l'eut cru ? Et que et que … son frère allait se marier !!! Ben voyons, il ne manquait vraiment plus que ça ! Elle était invitée au mariage, merveilleux, ça lui faisait une belle jambe. De son point de vue, c'était la plus belle connerie que son frère ait jamais faite. Et pourtant … Dieu savait qu'elle l'aimait, son frère. Elle le vénérait, elle l'adorait depuis toute, toute, toute petite. Quand leurs parents n'étaient pas là, quand elle se sentait seule, c'était toujours vers lui qu'elle se tournait. Même si elle aurait voulu le faire sortir, qu'ils fassent plein de choses ensemble, et que lui n'était pas forcément réceptif … Elle l'aimait. Il était la seule personne qu'elle considérait vraiment comme faisait partie de sa famille, alors autant dire qu'elle y tenait comme à la prunelle de ses yeux, voir même plus que ça. Même si ces derniers temps, et même tout le temps, il avait été trop protecteur et qu'elle avait voulu se défaire de son emprise, il n'en restait pas moins que le lien qu'elle avait avec lui était profond, vrai, et sincère. Et cette histoire de « ce mariage va me rendre profondément heureux », elle n'y croyait pas. De toute façon, elle ne croyait pas ce que son frère racontait à tout le monde. Elle, elle le connaissait, le vrai Adrian, celui qui avait le coeur sur la main, un amour, un véritable ange de tendresse avec ceux qu'il aimait … Alors cette façade, elle n'en pouvait plus, elle le vivait très mal. Et ça, a, ce mariage, c'était bien la cerise sur le gâteau, l'étincelle qui fit déborder le vase, la goutte qui mit le feu aux poudres. Ça suffisait ! A quoi jouait-il ? A force de raconter aux autres qu'il était quelqu'un d'autre, il ne saurait plus lui même qui il était vraiment ! Il fallait qu'il s'en rende compte. Et c'était la raison de sa présence, ici, à Heathrow.

Elle releva ses grosses lunettes Chanel pour consulter le panneau d'information sur les vols juste au-dessus d'elle. Le vol pour New York partait bien dans deux heures, elle avait largement le temps. Satisfaite, elle prit sa valise et décida d'aller faire un peu de lèche vitrine en attendant. Sa décision avait été aussi radicale et aussi facile à prendre que la dernière: elle avait mal. Elle avait très mal. Elle ne vouait plus être confrontée à Seth avant très, très longtemps. Aussi finalement fuir le pays était une solution peut-être de facilité, mais au moins elle était sûre d'avoir la paix. Et d'un autre ôté, elle voulait absolument voir son frère, et cette petite puce dont elle était donc maintenant la tata gâteau. Cela faisait trop pour elle, trop pour qu'elle reste en place, qu'elle reste statique. Elle avait envie de parler, de raconter tout ça … à Andrew, par exemple. Elle voulait savoir ce qu'il pensait de ce mariage, elle voulait lui demander si elle était vraiment une bonne poire pour que Seth aussi lui fasse le coup … Elle voulait faire le point. Et ici, à Londres, loin de ses racines et poursuivie par celui qui l'avait blessée, elle ne le pouvait pas. Elle voulait retrouver un équilibre, et elle savait qu'elle ne pourrait le faire qu'auprès des gens qui l'aimaient. Alors c'était ce qu'elle allait faire, tout simplement.

Un SMS la tira de sa comparaison de deux foulards Hermès. Elle soupira en voyant le nom « Seth » assorti d'un petit coeur clignoter sur son écran. Et elle lut « Tu es à l'aéroport?! ». Merde, comment l'avait-il su ? Aussitôt, elle laissa tomber les foulards, rangea son portable et se dirigea vers le comptoir d'enregistrement. Elle ne savait pas comment il était au courant, s'il avait vu un de ses professeurs, s'il avait peut-être reconnut une annonce caractéristique pendant qu'ils étaient au téléphone, ce qui restait la plus probable des options, mais en tous cas, elle ne voulait pas le voir débarquer sur les chapeaux de roue à l'aéroport. Une fois la douane passée, elle serait en sécurité. Valise enregistrée, passée vers la soute, vite, vers les portiques … qui sonnèrent, également. Ennuyée, elle se mordit doucement la lèvre avant de sourire à l'agent des douanes plutôt mignon qui lui demanda si elle avait quelque chose à déclarer. Absolument pas, répondit-elle alors qu'il devait être en train de se demander pourquoi diable les hommes ne pouvaient-ils pas fouiller les femmes ? Joan sourit en récupérant son sac à main, et rajusta ses lunettes, vérifiant son reflet dans la glace. Ses longs cheveux de jais encadraient son visage finement ciselé et très légèrement hâlé à la perfection (hâle naturel qui ne la quittait jamais, la privant fort heureusement de toutes ces séances cancérigènes d'UV), ses grands yeux clairs cachés par le verre fumé de ses lunettes étaient à peine discernables. Elle tourna deux trois fois, admirant sa silhouette plutôt fine, ses longues jambes fuselées dans ce sublime Jean Diesel sur lequel elle avait craqué très récemment, et son petit top bleu pastel. Jolie ? Sans aucun doute. Canon ? Oh que oui. C'était une réalité qui, malheureusement, assorti à son caractère un peu trop naïf, lui jouait bien des tours. Elle fronça son petit nez avant de sourire à pleines dents, ces dents blanches dignes d'une publicité pour dentifrice qui avaient toujours désespéré ses dentistes, avant de pincer en une moue malicieuse ses lèvres pulpeuses et d'éclater finalement de rire: c'était bon de faire le clown. Et bientôt, elle le ferait de nouveau avec les gens qu'elle aimait.

Attention, New York … Joan est de retour !